Contribution de Claude Radoux dans le Luxemburger Wort

25/02/2023

La paix et la liberté exigent de nous tous des actions moralement responsables. L’Occident ne doit pas répéter les erreurs qui ont conduit à la guerre en Ukraine et doit assumer sa responsabilité historique. C’est sous ce titre que l’article suivant de Claude Radoux a été publié dans le ‘Luxemburger Wort’ du 25 février 2023 :

Le choc a été grand pour les habitants d’Ukraine et du reste de l’Europe lorsque les premières bombes sont tombées sur Kiev, Kharkiv et d’autres villes au petit matin du 24 février. Les missiles et les alertes à la bombe étaient accompagnés des nouvelles de la première avancée des troupes russes au sol. Pour beaucoup, c’était une surprise, pour d’autres, c’était la confirmation de ce qu’ils avaient compris depuis 2014 : Vladimir Poutine aspire à une résurrection de l’Union soviétique, non pas tant poussée par le socialisme léniniste que par le nationalisme grand-russe et le stalinisme. D’autres l’avaient déjà pressenti lors de l’invasion russe de la Géorgie en 2008. Poutine avait annoncé sa vision du monde dans son discours à la Conférence sur la sécurité de Munich en 2007.

Après l’occupation de la Crimée par les « petits hommes verts » qui sont apparus fin février 2014 et qui, peu de temps après, ont surveillé le vote sur l’adhésion de la Crimée à la Russie avec des mitraillettes au parlement régional, très peu de voix discordantes s’étaient élevées de l’Europe démocratique. Ni les révoltes organisées par la Russie dans le Donbass, ni la destruction de l’avion de ligne de la Malaysia Airlines en juillet 2014 n’ont donné lieu à des déclarations claires de l’UE ou de l’OTAN.

Ce silence, que l’on peut parfois presque considérer comme une approbation, a sans aucun doute influencé le cours de l’histoire au détriment d’une Ukraine libre.

On peut reprocher aux responsables politiques de cette époque de graves erreurs de décision. Mais la politique n’est pas la seule à avoir échoué. Les représentants de l’économie ont suivi exclusivement l’intérêt mercantile et commercial. Les sociétés civiles de nombreux pays ont fait preuve de complaisance et ont avalé la propagande russe sans la moindre critique. 
 

« Zeitenwende »

Le 24 février 2022 a finalement mis tout le monde devant ses responsabilités. Le peuple ukrainien n’a pas hésité et a pris les armes. Les femmes et les enfants ont été mis à l’abri, les hommes sont retournés au front avec les forces de défense dans leurs villes et villages. L’UE s’est également réveillée et a annoncé, avec le chancelier allemand, un « changement d’époque » (« Zeitenwende »).

Rétrospectivement, on peut dire que les réactions ont été trop timides au début, en partie parce que personne ne pensait que l’Ukraine pourrait tenir plus de quelques jours ou semaines. On peut constater ici que les services secrets de Poutine ne sont pas les seuls à avoir échoué dans leur évaluation de la résistance ukrainienne, les services secrets militaires et civils occidentaux ont eux aussi fourni à leurs gouvernements des évaluations manifestement erronées des rapports de force.

Malgré toutes les critiques et les regrets pour les erreurs mentionnées entre 2007 et 2022, les actions et surtout les omissions ont prouvé que l’Occident n’a pas travaillé activement à une Ukraine forte ou a fait de la géopolitique de manière raffinée. Seule la volonté de liberté et d’autodétermination de la grande majorité de la population ukrainienne a clairement déterminé l’histoire.
 

« La paix sans la liberté ne peut pas être un objectif. »

Les Ukrainiens veulent se rapprocher de l’UE depuis des décennies. Certainement aussi pour des raisons économiques, mais surtout pour des raisons de politique intérieure. Les Ukrainiens veulent vivre dans un pays qui leur fournit le même cadre d’État de droit que l’UE. Sur le plan géopolitique, ils ont toujours fait attention à la Russie, tout comme les adolescents font attention à ne pas provoquer des parents irascibles.

En Europe occidentale, nous vivons en paix depuis 1945, mais surtout en liberté. La liberté d’exprimer nos opinions, de conclure nos accords d’État, de voter pour différents partis, la liberté économique et les libertés sociales. Nous ne devons pas oublier combien cela est précieux. Les Ukrainiens aspirent aux mêmes libertés et c’est pourquoi beaucoup ne comprennent pas que certains Occidentaux appellent à une paix immédiate sans réclamer en même temps la paix pour une Ukraine libre. La paix sans la liberté ne peut pas être un objectif.
 

Le désir de vivre en liberté

La résistance de la population ukrainienne à l’invasion russe a été accompagnée d’une énorme vague de solidarité et d’entraide de la part de la société civile européenne. Depuis la Seconde Guerre mondiale, on n’avait pas vu une solidarité aussi large et spontanée. C’est peut-être aussi l’attitude de leurs électeurs qui a poussé les responsables politiques européens, après de longues tergiversations, à accorder à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion cet été. Un grand pas pour lequel l’Ukraine est très reconnaissante.
 

« Les erreurs qui ont conduit à la guerre d’Ukraine étaient évitables. »

Lors des célébrations obligatoires de la fin de la Première et de la Seconde Guerre mondiale ou lors des cérémonies de commémoration des victimes de la guerre, on évoque toujours le fait que nous ne devons pas oublier le passé. C’est bien sûr vrai. Mais il faut bien plus encore agir en conséquence. Les erreurs qui ont conduit à la guerre en Ukraine étaient évitables.

Il faut continuer à agir de manière moralement responsable : par chacun, chaque jour. Prendre le temps de comprendre la différence entre le bien et le mal et agir en conséquence. Ce sont de nombreuses petites décisions responsables qui nous permettent à tous de vivre en liberté.